22 mai, journĂ©e de la biodiversité⊠Est-ce pour cĂ©lĂ©brer et remercier cette vie si gĂ©nĂ©reuse Ă notre Ă©gard ? Non ! Cette journĂ©e est lĂ pour nous rappeler les dĂ©sĂ©quilibres que gĂ©nĂšrent nos activitĂ©s sur les systĂšmes vivants. MalgrĂ© ces constats, nous continuons Ă dĂ©truire ce qui est Ă la base de notre existence mĂȘme. Il est temps de se mettre en action, car nous sommes en guerre.
Un combat de libération
Notre sociĂ©tĂ© est en guerre contre les systĂšmes vivants et le bien commun, pour satisfaire nos propres Ă©goĂŻsmes et notre individualisme. Cette guerre nâest pas virtuelle, et sa rĂ©alitĂ© sâimpose Ă nous par ses consĂ©quences quotidiennes : destruction des Ă©cosystĂšmes, pollutions, dĂ©sertification, famines, conflits, migrations ou terrorisme sont les fruits du combat menĂ© par une petite partie de lâhumanitĂ© pour sâapproprier le bien commun Ă son seul profit.
Nous sommes aujourdâhui Ă lâheure du choix. Câest une pĂ©riode extraordinaire et pleine dâespĂ©rance oĂč nous pouvons reconquĂ©rir notre libertĂ© et reprendre un chemin de paix par lâharmonie avec les systĂšmes vivants.
Mais on ne mĂšne pas un tel combat avec des discours, des intentions ou mĂȘme de bonnes pratiques qui ne servent que lâillusion de notre bonne conscience. Nous ne monterons Ă lâassaut pour la reconquĂȘte du bien commun quâavec une vraie stratĂ©gie, dont dĂ©coulent des tactiques et des modes dâaction.
Il convient en premier lieu de dĂ©finir contre quoi et pourquoi nous combattons. Notre adversaire nâest pas lâhomme moderne, ni telle organisation ou telle sociĂ©tĂ©, mais simplement lâidĂ©ologie qui fonde notre modĂšle actuel, prĂ©tendant que la finalitĂ© de toute personne, physique ou morale, est la maximisation de son profit. Le systĂšme Ă©conomique qui dĂ©coule de cette vision biaisĂ©e du rĂŽle de lâhomme sur terre a ainsi un objectif avant tout financier, basĂ© sur la compĂ©tition perpĂ©tuelle pour la croissance de richesses matĂ©rielles. Comme lâont thĂ©orisĂ© la plupart des Ă©conomistes depuis le XVIIIĂšme siĂšcle avec des formulations diffĂ©rentes, câest bien la cupiditĂ© qui rĂ©git les comportements de notre sociĂ©tĂ©, et câest prĂ©cisĂ©ment lĂ que se trouve lâennemi de la vie et du bien commun. NâespĂ©rons pas changer les consĂ©quences sans sâattaquer aux causes. PlutĂŽt que la rĂ©volte qui ne mĂšne quâĂ la violence, choisissons la voie de la construction pour simplement tracer une nouvelle route. Il suffit de rĂ©cupĂ©rer les commandes pour reprendre le contrĂŽle de la machine.
Nous ne sommes pas seuls : nous avons la puissance de la vie comme principale alliĂ©e. La contemplation des systĂšmes vivants nous enseigne depuis le dĂ©but de lâhumanitĂ© que la vĂ©ritable croissance se fait par les relations et les Ă©changes, le don et le partage, dans la diversitĂ© et la complĂ©mentaritĂ©. La vie est un manuel opĂ©rationnel qui capitalise 4 milliards dâannĂ©es dâexpĂ©riences et dâinnovation, dans lequel nos anciens ont lu et appris, et que nous pouvons nous rĂ©approprier. Sortons simplement du milieu dâun systĂšme devenu fou pour ne pas prendre part Ă ses vices, et nous concentrer sur les richesses de la vie et de lâhumanitĂ©.
Nonâ! La finalitĂ© de lâĂ©conomie nâest pas la recherche du profit, ce nâest quâune dĂ©viance moderne et matĂ©rialiste. Lâobjectif de lâĂ©conomie est la co-crĂ©ation de valeur avec les systĂšmes vivants, par la recherche du Bien par le Service et lâĂ©change de biens et de services, puis la juste rĂ©partition de la valeur créée. Câest lâĂ©conomie vivante des territoires, qui a accompagnĂ© lâhumanitĂ© depuis la premiĂšre rĂ©volution agricole du nĂ©olithique. LâĂ©conomie vivante est bio-inspirĂ©e et compatible avec la vie, car elle a comme moteurs la diversitĂ© et la coopĂ©ration. Le bon Ă©quilibre avec le bien commun est ainsi la cause et la consĂ©quence du fonctionnement dâune sociĂ©tĂ© recréée sur les principes fondamentaux des systĂšmes vivants.
Il faut dâabord combattre en nous-mĂȘmes ce que nous sommes prompts Ă condamner dans cette sociĂ©tĂ© ou chez nos politiques : lâĂ©goĂŻsme, la recherche du confort et du pouvoir, la lĂąchetĂ©, le refus de lutter⊠La rĂ©volution commence par la vertu individuelle, car cela crĂ©e chaque jour la force du changement, et la mutation collective se fait par la rĂ©forme des personnes et le partage de valeurs communes : honneur, fidĂ©litĂ©, courage, loyautĂ©, solidarité⊠Câest aussi une aventure dâentrepreneurs, car ce sont eux qui font lâĂ©conomie. Les entrepreneurs sont libres de leurs modĂšles, ce nâest quâune question de choix.
Lâinnovation sociale peut se dĂ©ployer partout en France, en particulier dans lâagriculture, pour ne pas laisser les fruits de la terre et du travail des hommes Ă la seule logique de rentabilitĂ© financiĂšre.
Comptons sur nous-mĂȘmes, ainsi nous ne serons pas déçusâ! Nous allons sans doute prendre des coups â câest la guerre â mais la mission est sacrĂ©e et le combat en vaut la peine, surtout lorsquâil apporte tant de richesses dans les Ă©changes. La rĂ©volution de la vie ne dĂ©pend que de notre dĂ©termination et de notre engagement. Ce nâest vraiment pas une rĂ©volte, mais lâĂ©lan vital dâun peuple joyeux qui souhaite un avenir rayonnant.
Comment faire ?
La vie est le plus bel exemple dâadaptation systĂ©mique, ayant rĂ©ussi toutes ses mutations depuis quatre milliards dâannĂ©es en fonction des contraintes, ce qui lâa parfois amenĂ© Ă modifier radicalement ses modes dâorganisation. Elle a toujours maintenu un facteur clĂ© de succĂšs : la relation dans la diversitĂ©.
Inspirons-nous de ces quatre milliards dâannĂ©es dâexpĂ©rience et des formes de vie dâaujourdâhui pour un nouveau paradigme afin de penser diffĂ©remment le futur des entreprises : la vie est un chemin vers lâavenir.
En sâappuyant sur la dynamique et la richesse des systĂšmes vivants, les entreprises sont amenĂ©es Ă placer leur ResponsabilitĂ© Sociale et Environnementale au centre de leur stratĂ©gie, en symbiose forte avec leur territoire dâaccueil. Elles rĂ©pondent ainsi autant Ă lâimpĂ©rieuse nĂ©cessitĂ© dâadaptation aux changements globaux quâaux contraintes rĂ©glementaires, mais surtout Ă la demande de sens et de valeur exigĂ©s par les parties prenantes, en particulier les clients et les collaborateurs.
Lâaventure est humaine avant dâĂȘtre Ă©cologique ou technique, car câest bien notre nature propre qui est interrogĂ©e brutalement par lâĂ©volution du monde, dans notre relation avec les autres, humains et non-humains. Il ne sâagit pas de sâadapter pour survivre, mais pour vivre dans le respect et la dignitĂ©.
Sâinspirer des systĂšmes vivants pour rĂ©intĂ©grer les cycles de la vie est une approche optimiste qui touche le cĆur de lâorganisation, pour rayonner sur des territoires de vie et dâhumanitĂ© co-construits au service du bien commun.
ConcrÚtement, réinventer la RSE. Pour une RSE territoriale.
Comme le dĂ©veloppement durable, la RSE sâest essoufflĂ©e, car elle nâatteint pas ses objectifs : malgrĂ© des efforts mĂ©ritoires et sincĂšres, des innovations organisationnelles ou technologiques remarquables, la courbe de la destruction du bien commun sâoriente davantage vers les bas alors que les inĂ©galitĂ©s sociales sont en croissance continue. La RSE tente de rĂ©duire des impacts sans pour autant sâinterroger sur le niveau Ă atteindre pour prĂ©server les ressources et le bien commun. Les actions conduites cherchent Ă amĂ©liorer (ce qui nâest pas vraiment difficile) sans fixer le but Ă atteindre dans un contexte global. Dans ce contexte, le mieux et lâennemi du bien ! En consĂ©quence, la RSE devient de plus en plus un mĂ©canisme sans Ăąmes qui produit des objectifs pour eux-mĂȘmes et des indicateurs qui finissent par devenir les objectifs. Lâune des limites principales de la RSE est son centrage sur lâentreprise. MĂȘme si les parties prenantes sont invoquĂ©es dans les audits, diagnostics ou plans dâaction, les interactions rĂ©elles avec le territoire sont limitĂ©es. Hormis quelques fournisseurs et partenaires lorsque cela est possible, lâentreprise est seule, comme si elle pouvait se dĂ©velopper indĂ©pendamment du monde qui lâentoure.
Cette approche est fondamentalement opposĂ©e Ă la notion de bien commun, qui par dĂ©finition doit engendrer une mobilisation coordonnĂ©e de lâensemble des acteurs. Sauf Ă devenir systĂ©mique et holistique, la RSE est condamnĂ©e Ă rester un avatar de lâĂ©conomie classique, juste destinĂ©e Ă donner bonne conscience en ayant lâillusion de lâutilitĂ©. Câest un peu comme cet ivrogne qui cherche ses clĂ©s sous le lampadaire, mais quand on lui demande sâil est sĂ»r quâil les a perdues Ă cet endroit, il rĂ©pond : «ânon, mais au moins lĂ il y a de la lumiĂšreâ!â». Que cherchons-nousâ? Une zone Ă©clairĂ©e pour nous rassurer, ou un chemin vers une sociĂ©tĂ© qui puisse continuer Ă assurer notre sĂ©curitĂ© et notre bien-ĂȘtre pour les gĂ©nĂ©rations futuresâ?
Le chemin accompli nâest pas vain, et cet essoufflement ne veut pas dire quâil Ă©tait dans une mauvaise direction. Il convient simplement de changer maintenant de dimension pour dĂ©ployer la RSE dans sa finalitĂ© : dĂ©velopper une Ă©conomie qui ne dĂ©truise pas les fondements de notre humanitĂ©, et surtout rĂ©gĂ©nĂšre les Ă©cosystĂšmes en restaurant le lien charnel fondamental qui nous unit Ă la terre et aux autres espĂšces.
Il est temps de dĂ©velopper un nouveau concept de RSE, qui sera territorial, donc coopĂ©ratif, et bioinspirĂ©. Il engendre logiquement des externalitĂ©s positives rĂ©ciproques, surtout entre des entreprises trĂšs diffĂ©rentes, sur le principe de relation de la fleur et de lâabeille. Il ne sâagit plus de bonnes pratiques donnant plus ou moins bonne conscience, mais de rĂ©volution conceptuelle de lâĂ©conomie pour libĂ©rer les territoires de la pression spĂ©culative, la RSE sâinscrivant au cĆur de la stratĂ©gie de lâentreprise. Cette RSE sâappuie sur le principe de subsidiaritĂ© pour donner lâinitiative aux acteurs du territoire, dans le respect de valeurs communes.
Vive la Vie
Patrice Valantin, systémiseur, Reizhan