[Opinion] Autorisations environnementales et COVID 19.

Par Frédéric Melki, Président de Biotope

La crise sanitaire de ce printemps 2020 a impacté l’organisation de nos missions de terrain, et notamment les états initiaux de la biodiversité pour les projets soumis à évaluation environnementale. Si nous avons pu, en grande partie, maintenir nos activités de terrain grâce aux autorisations qui nous ont été délivrées pour poursuivre (et à la forte mobilisation des salariés et des dirigeants de nos entreprise), certaines difficultés ou contraintes nous ont emmenés à adapter nos travaux.

Nous rappelons que les inventaires naturalistes sont directement soumis au rythme des saisons. Pour être utiles, ils doivent donc être réalisés à des périodes précises de l’année ; ils ne peuvent donc pas être fortement différés.

Des difficultés évidentes ont été rencontrées dans le cadre de la réalisation des missions d’inventaires naturalistes. Des propositions sont faites pour permettre à la fois la prise en compte optimale de l’environnement sans approfondir la crise économique par des retards dans la délivrance des autorisations environnementales.

Ces difficultés rencontrées ont été liées :

  • aux incertitudes sur l’autorisation que nous avions de maintenir les missions de terrain en contexte de confinement jusqu’à la publication d’une instruction aux préfets le 10 avril 2020 par le ministère de l’écologie autorisant les inventaires naturalistes ;
  • à l’absence d’hôtel et de restaurant ;
  • à l’usage des véhicules particuliers autorisé pour une personne seulement, aggravé par la difficulté de louer des véhicules, jusqu’au 11 mai ;
  • à l’impossibilité de réaliser certaines interventions dans des environnements confinés (avions, bateaux, éoliennes…) ;
  • à la suspension par les universités de la majorité des stages ;
  • aux grandes difficultés à recruter, en particulier des saisonniers ;
  • aux arrêts de chantiers et aux difficultés d’acheminements de matériel (pour les dispositifs d’écoutes en altitude par exemple) ;
  • à la gestion des questions de sécurité autres que sanitaires en contexte COVID, et notamment le terrain de nuit et en lieux isolés ;
  • à l’interdiction de certains secteurs (littoral notamment) ;
  • à l’établissement de couvre-feux selon les communes ;
  • au quasi-arrêt des transports en commun : trains, RER, bus et avions ;
  • à la fermeture des établissements scolaires et à la difficulté pour les jeunes parents de faire garder leurs enfants. Cette situation persiste à ce jour.

Le gouvernement a demandé la poursuite des activités économiques sur lesquelles nous travaillons dont la plupart sont essentielles à l’économie du pays (énergie, transport, BTP…). Il s’agit donc pour nous d’apporter dès à présent un maximum d’éléments de réponses quant aux enjeux et contraintes liés à la biodiversité sur les zones d’influence de ces projets et de mesurer l’impact du COVID sur la poursuite de ces projets.

Nous constatons en effet, et depuis plusieurs années déjà, de très fortes disparités régionales dans l’instruction des dossiers de demande d’autorisation environnementale (exigences, délais, autorisations, refus, montant des mesures…), générant des crispations à la fois du monde économique et des ONG conservationnistes. Dans ce contexte de crise sanitaire suivie par une crise économique massive, nous craignons que les autorisations environnementales cristallisent ces oppositions entre des acteurs économiques dans l’impérieuse nécessité de redémarrer et une partie de l’administration environnementale plus ou moins réceptive aux sujets économiques.

Par ailleurs, le décret n°2020-412 du 8 avril 2020 autorise les Préfets à déroger aux normes en vigueur notamment dans les cadres de :

  • l’aménagement du territoire et de la politique de la ville ;
  • de l’environnement, de l’agriculture et de la forêt ;
  • de la construction, du logement et de l’urbanisme.

Ces dérogations restent toutefois soumises (outre l’intérêt général) à « l’existence de circonstances locales » et doivent « être compatibles avec les engagements européens et internationaux de la France ».

Ce décret ne permet donc pas de s’affranchir d’études d’impact ou d’évaluations environnementales, ni ne permet pas d’ignorer les espèces et espaces protégées (issus du droit européen). Il donne une souplesse aux Préfets pour lever certains verrous administratifs, pour pallier la lenteur de certaines autorisations alors même que les études ont été faites dans les règles et pour lever certains blocages difficiles à justifier.

Il nous paraît donc nécessaire d’éviter tout excès dans un sens ou dans l’autre.

Parmi les éléments qui nous inquiètent d’ores et déjà, on peut noter l’annulation sans justification par quelques clients de journées d’expertise écologique (notamment de suivis environnementaux) que nous pouvions parfaitement réaliser en contexte de confinement. Certains cahiers des charges post-COVID, nous laissent à penser que d’aucuns pensent que le décret du 8 avril 2020 est de nature à affranchir les maîtres d’ouvrage de toute étude environnementale.

D’un autre côté, le positionnement de certains services instructeurs ne semblant pas tenir compte de la crise nous inquiète également. A titre d’exemple, certains services « conseillent de faire les passages manquants au printemps 2020 à cause du COVID 19 au printemps 2021. Les passages manquants en 2020 impacteront la validation de l’étude ». En clair, à la moindre perturbation dans les expertises en 2020, le dossier sera retoqué et renvoyé un an plus tard.

Compte tenu à la fois des enjeux environnementaux, plus que jamais d’actualité et de l’ampleur de la crise économique à venir, ces positionnements, qu’ils aillent dans un sens ou dans un autre, sont difficilement soutenables.

La grande dissymétrie des approches régionales étant flagrante, il est indispensable qu’une doctrine nationale vienne normaliser cette situation et cela de façon urgente.

Parmi les points essentiels à prendre en compte :

Passages sur le terrain
Ne pas accepter les dossiers ne comprenant aucune expertise de terrain ou un niveau d’expertise de terrain manifestement insuffisant. Je rappelle que l’essentiel du travail était possible, malgré les difficultés présentées plus haut.

Périodes de prospection
Ne pas exiger, en revanche, que les inventaires soient, en 2020, réalisés entièrement dans les périodes d’optimum écologique. Il est clair que la période de mi-mars à mi-avril, optimum pour certains taxons, a été perturbée par la crise, ces perturbations s’étant, dans une moindre mesure, poursuivie jusqu’à ce jour faute d’ouverture complète des écoles. La notion d’optimum écologique doit par ailleurs être élargie du fait de l’évolution favorable des techniques de prospection et d’analyse des données.

Contexte météorologique
Ne plus exiger que les inventaires soient entièrement réalisés en météo favorable. Les inventaires doivent être réalisés dans des conditions météorologiques variées, représentatives des conditions de l’année. La crise, avec des tensions inédites sur la disponibilité du personnel, a rendu plus critique ce sujet, déjà très sensible les années précédentes.

Amplitude des inventaires
Compte-tenu du fait que la crise est arrivée en pleine période de terrain et que plusieurs semaines d’incertitude ont amoindri ou rendu difficiles certaines missions, accepter que les évaluations des impacts et les mesures se basent sur des durées d’inventaires légèrement plus courtes qu’initialement prévu, avec une analyse au cas par cas.

Analyses complémentaires
Demander à compenser un terrain plus court par une analyse plus poussée de la présence potentielle des espèces et des habitats naturels. Cette analyse passera par l’analyse cartographique des habitats potentiels, l’exploitation des bases de données publiques ou privées, l’utilisation de méthodes innovantes comme l’ADN environnemental ou les modèles de niche ainsi que par la consultation renforcée de spécialistes locaux. Cette analyse respectera le principe de précaution quant à la présence éventuelle d’espèces rares et menacées.

Utilisation des dérogations dans le cadre du décret du 8 avril 2020
Faire en sorte que les Préfets qui usent de leur droit de dérogation le fassent en connaissance de cause et notamment en s’assurant que les circonstances le justifient vraiment et que les engagements européens de la France sont respectés.

Expertise des bureaux d’études
Faire confiance a priori à l’analyse argumentée des entreprises indépendantes de l’ingénierie écologique sur leur capacité à apprécier correctement l’état initial des sites ainsi que les impacts écologiques des projets malgré une saison de terrain perturbée.

Calendrier des projets et compléments d’expertise
Une fois tous les points ci-dessus respectés, ne pas exiger a priori que l’autorisation d’un projet économique soit retardée d’un an car les inventaires ne se sont pas exactement déroulés comme prévu. Préférer, le cas échéant, prescrire des compléments d’expertise ou des suivis post-autorisation. Ce dernier point est évidemment central pour soutenir l’économie

Nos clients et maîtres d’ouvrage ont pour l’essentiel maintenu leurs projets et, en lien avec eux, nous avons poursuivi nos missions de telles façons qu’ils continuent d’assumer leurs responsabilités environnementales y compris durant cette crise.

La préservation de la biodiversité n’a donc pas été trop mise à l’écart jusqu’à présent. Mais un risque existe de comportements inappropriés qui conduiraient certains clients à se détourner de leurs bonnes pratiques actuelles. C’est pourquoi une attitude équilibrée et homogène de l’administration, qui fasse confiance aux entreprises indépendantes de la filière, est plus que jamais une urgence.

Frédéric Melki
Président de Biotope

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